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Les causes du crash de Charm el-Cheikh
Les mensonges de l'enquête officielle
- Mis en ligne le 23 janvier 2005 -
- Addendum du 31 janvier 2005 in fine -
- Addendum du 5 février 2005 in fine -
Avertissement : Ce qui suit constitue une brève analyse à
l'attention des personnes intéressées, le style est donc dépouillé. Le document de référence est le
rapport de la commission égyptienne d'enquête "FACTUAL REPORT OF INVESTIGATION OF ACCIDENT"
publié en France par le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA). Il est
disponible ici
(format PDF - 10,5 Mo).
Les indications des numéros de page renvoient
à celles de cette version PDF du rapport (ce qui donne des numéros identiques à ceux du "document papier"
pour le texte du rapport, mais, bien sûr, des valeurs différentes pour les annexes).
Une dizaine de techniciens a participé à l'analyse ci-après. L'objectif est un récapitulatif des faits principaux
et incontournables, avec des commentaires de bon sens et un constat des lacunes de l'enquête égyptienne,
malgré l'épaisseur du rapport produit, dans lequel l'essentiel est tout simplement noyé, quand il n'est pas
oublié. Il a été débattu de plusieurs facteurs contributifs éventuels. Dans un souci de clarté, ces facteurs
secondaires éventuels ne sont pas évoqués ici.
Préliminaire : une grave omission. Le rapport indique à deux reprises (pages 47 et 92) que tous les paramètres ont été relevés. Malheureusement il manque un paramètre important, c'est celui des indications du "vario", c'est-à-dire la "vitesse verticale". Quand on aura compris les causes de l'accident, au vu de ce qui va suivre, cet oubli paraît très surprenant. Mais certains n'en ont pas été surpris. Ils ont l'habitude, sachant qu'est associé à l'enquête Paul-Louis Arslanian, directeur du BEA, membre de la commission d'enquête sur Habsheim et vice-président de celle sur Sainte-Odile (brèves indications ici et ici).
Constat de base.
L'analyse du DFR (enregistreur de paramètres) montre,
après décollage, la rentrée des becs entre (heures GMT, minutes, secondes) 2:43:29 et 2:43:33 (p 195).
Le bec N°1 (photos ici), extérieur gauche,
ne rentre pas. Il reste en position
intermédiaire, à demi sorti, position correspondant au décollage (MIDEXT).
L'avion est à ce moment en virage à gauche, inclinaison 21° (p 260).
Immédiatement, légèrement d'abord, puis plus rapidement, l'avion amorce un mouvement de roulis vers la droite
(p 260 et p 261). L'inclinaison ira jusqu'à 111° (!) à droite à 2:44:58 (p 266).
Puis elle repart rapidement, avec un à-coup,
vers la gauche.
Durant toute la période d'augmentation de l'inclinaison vers la droite, la position des ailerons varie peu dans un
premier temps et
plus ensuite, mais les valeurs restent faibles. On constate un à-coup lié à une tentative d'embrayage du pilote
automatique entre
2:43:59 et 2:44:03 (débrayage avec alarme, p 283). La position du manche (volant) elle aussi varie peu dans
un premier
temps (mais elle a une valeur décalée, ce sera vu plus tard, en effet, il importe peu ici de savoir quel est le
"calage" du volant -ou celui du capteur de l'enregistreur-, ou quel est le tarage du sytème d'enregistrement
de la position du volant, ce qui importe ici, ce sont les mouvements et leur cohérence). On retrouve l'à-coup dans
le volant correspondant à la tentative d'enclenchement du pilote automatique (p 262 et p 283).
On voit vers la
fin de cette période
des mouvements alternatifs et de faible amplitude du volant et le mouvement correspondant des ailerons.
Durant toute cette période d'inclinaison vers la droite (de 20°G à 2:43:33, à 111°D à 2:44:58)
les mouvements du volant sont en concordance avec ceux des ailerons.
Cette concordance se poursuit au moment de l'inversion du mouvement de roulis, à 2:44:58,
puis dans la phase de redressement en saccade (l'inclinaison diminue,
les mouvements des ailerons et ceux du volant concordent avec ce mouvement).
Depuis la rentrée des becs (sauf le N°1, comme on l'a vu) jusqu'au crash,
la position du palonnier et celle de la gouverne de direction restent sensiblement au neutre et en concordance
entre elles.
Conclusion de ces premières constatations : l'indication de non rentrée du bec N°1 ne semble pas être une erreur
d'enregistrement, mais elle correspond à une non rentrée effective, entraînant une dissymétrie de portance
non corrigée dans un
premier temps (sauf par une tentative d'enclenchement du pilote automatique) et dont la conséquence fut
une variation de l'inclinaison
de 21°G à 111°D dans un laps de temps de 85 secondes. A 2:44:58 un des pilotes a corrigé,
avec un mouvement d'hésitation,
ramenant l'inclinaison à 25°D au moment du crash à 2:45:05.
Analyse chronologique.
Jusqu'à la mise en route, le cockpit voit une certaine animation, ce qui est parfaitement normal.
A partir de la mise en route, trois personnes sont présentes dans le cockpit. Le pilote commandant de bord,
l'officier pilote ("copilote") et une troisième personne, pilote observateur sans aucune
fonction officielle à bord. C'est le commandant qui est PF, pilote en fonction.
2:30:21 à 2:30:40. Au sol, avant mise en route (p 335 et p 336). Conversation entre le cockpit et
un ingénieur sol
sur ce qui semble être une anomalie ("l'avez vous vu ?"... "Oui, j'aurais pu faire quelque chose mais je
n'ai pas voulu y toucher"...") le tout se concluant par des rires sur le fait que "Amr" a probablement fait
un atterrissage lourd. Nous y reviendrons.
2:34:10. Début de la mise en route des moteurs.
2:34:50. Les listings de paramètres annexés au rapport sont disponibles à partir de ce moment.
Ils montrent que les becs sont en position "rentrés", sauf le N°1, extérieur gauche, qui est
en position MIDEXT, demi-sorti (p 192). Cette position anormale du bec, si elle est réelle, est visible du sol.
La position des becs entre dans le cadre des vérifications normales à chaque escale (inspection visuelle).
Qu'en a-t-il été à Charm el-Cheikh ? Peut-être était-ce le sujet de la conversation sur ce qu'il fallait voir,
n'a pas été réparé et serait la conséquence d'un atterrissage lourd ? (Ceci est une simple interrogation
qui ne comporte aucun sous-entendu, les coïncidences, cela existe et rien ne permet, dans un premier temps,
de faire un lien entre ces deux événements, une analyse plus complète est nécessaire et on peut s'interroger
sur les silences du rapport à ce sujet :
les protagonistes survivants et tous ceux qui ont approché et exploité l'avion avant ce vol fatal ont-ils été
interrogés sur ce qu'ils on vu ou su de cette position anormale du bec N°1 ? Le rapport ne précise rien.
Dommage, mais nous y reviendrons).
2:37:23. Début du roulage.
2:37:26. Le commandant demande la sortie des volets à 5° (et donc des becs à MIDEXT) (p 344).
2:37:30 à 2:37:35. Le commandant annonce l'essai de la direction "direction, droite, neutre, gauche" (p 344).
Mouvements confirmés par le DFR (p 237).
2:37:35. Le commandant annonce "neutre" (p 344).
2:37:37. Le copilote annonce "commandes de vol vérifiées" (p 344)...
alors que le roulis et la profondeur ne l'ont pas été à ce moment.
2:37:34 à 2:37:37. Les becs passent de "rentrés" à MIDEXT (sauf le N°1 qui y est déjà) (p 193).
2:37:38 à 2:37:41. Le commandant vérifie le débattement latéral du volant (roulis), en silence
(p 237, p 238, p 344, p 345).
La lecture des paramètres relatifs au roulis permet de toujours constater l'anomalie entre l'indication
de la position du volant et celle des ailerons. Toutefois, les mouvements des ailerons, et leurs positions au
fil du temps durant tout le roulage et le vol apparaissent comme concordants (comme avec un guidon de vélo décalé
par rapport à la roue, mais avec des mouvements qui restent concordants). L'anomalie entre position du volant
et position des ailerons ne semble provenir que d'une erreur dans la chaîne de mesure de la position du volant
(nous y reviendrons).
2:37:41 à 2:37:44. Le commandant vérifie la profondeur, en silence (p 238 et p 345).
2:38:44. Le commandant demande la check-list avant décollage.
2:38:48 et 2:38:49. Dans le cadre de la check-list, le copilote annonce "volets". Le commandant répond "cinq verte
allumée" (p 346). Il s'agit a priori de l'annonce correspondant à 5° de volets et une verte allumée
au tableau central. (photos ici).
Qu'en est-il de l'allumage des six vertes au panneau supérieur ?
(photos ici). Nous reviendrons sur tout cela.
2:42:00. Début du décollage, rolling take off (p 349 et plusieurs pages du DFR).
2:42:36. Rentrée du train (p 195 et p 349).
2:43:23. Le commandant demande la rentrée des volets, donc des becs (p 350). A ce moment l'avion est
à 1930 ft (référence 1013 / 29,92),
en montée, vitesse 192 kt, inclinaison 21°G (p 260).
2:43:29 à 2:43:33. La lecture du DFR montre que les becs rentrent, sauf le bec N°1 qui reste en MIDEXT
(p 195).
2:43:35. Le copilote annonce "volets rentrés, voyants éteints" (p 351). Problème : si le bec N°1 reste en "MIDEXT",
comme l'indique le DFR et comme le confirme l'inclinaison que prendra l'avion à partir de ce moment,
le voyant correspondant devrait être allumé vert
(ici, photo du haut, point blanc). Sauf s'il n'y a plus
d'ampoule dedans ou si des circuits électriques sont débranchés...
A partir de ce moment l'avion commence à s'incliner lentement vers la droite, sans qu'une manœuvre dans ce sens
apparaisse sur les gouvernes (p 260 et suivantes). C'est l'effet de la dissymétrie engendrée par le bec N°1 resté
sorti.
A partir de 2:43:46 on dispose de diagrammes annexés au rapport. Ces diagrammes reprennent les informations
disponibles par la lecture des enregistrements. Il figurent à partir de la
page 310. On peut donc s'y référer pour "visualiser" les événements, plus facilement qu'à la lecture des
dépouillements bruts du DFR et du CVR (enregistrements sonores). La concordance avec les pages des
dépouillements bruts a été vérifiée.
A 2:43:55, une minute dix avant le crash, le commandant demande l'enclenchement du pilote automatique.
Trois secondes plus tard il déclare "pas encore" sans qu'on puisse savoir de quoi il s'agit.
Une seconde plus tard, à 2:43:59, le pilote automatique est enclenché et, dans la seconde qui suit,
le copilote annonce "pilote automatique en action". Encore une seconde plus tard
le commandant pousse une exclamation. Dans la seconde qui suit, à 2:44:02, le pilote automatique se
déconnecte. L'alarme signalant cette déconnexion retentit dans le cockpit. La suite montre que
l'équipage n'a pas vérifié le bon enclenchement du pilote automatique (c'est une obligation). Il n'a pas
entendu l'alarme de déconnexion. Il ne vérifiera pas le statut du pilote automatique alors qu'un problème
de stabilisation se pose.
Rappel : le pilote automatique ne doit être engagé qu'en vol stabilisé. Il n'est pas conçu pour être
mis en œuvre avec des paramètres évolutifs, au-delà de certaines valeurs. Une dissymétrie engendrée par
la position MIDEXT du bec N°1 a pour conséquence normale l'impossibilité d'enclencher le pilote
automatique.
La suite montre que personne ne surveille la trajectoire. Personne ne surveille les indications instrumentales
de vitesse, altitude, vitesse verticale... Seul le copilote interviendra pour signaler un virage à droite.
Le commandant est dépassé. Il manifeste de l'étonnement. Le copilote interviendra à partir de 22 secondes
avant l'impact pour signaler à plusieurs reprises un roulis hors normes, mais cela restera toujours sans effets.
Le commandant de bord, qui ne comprend plus la situation, tente de se raccrocher au pilote
automatique.
Un petit retour en arrière s'impose pour revenir sur le pilote automatique (PA) et les tentatives d'utilisation
de celui-ci. Un peu plus d'une minute avant l'impact, la tentative d'enclenchement du PA s'est soldée par une
déconnexion automatique avec alarme, à un moment ou le commandant a finalement annoncé "pas encore" : il est
possible que le copilote n'ait pas entendu cette demande, si elle concerne le PA, et qu'il ait malgré tout
enclenché celui-ci (qui s'est déclenché automatiquement). Il est intéressant de voir que le commandant
demande à nouveau, à deux reprise, le PA (24 et 22 secondes avant l'impact) et que le copilote lui répond,
une seconde plus tard "pilote automatique en action" alors que la tentative avortée d'enclenchement a eu
lieu quarante secondes auparavant. Malgré cette annonce du copilote, le commandant demande à nouveau le PA,
dix-neuf secondes avant l'impact. Dans le même temps, l'avion semble faire absolument ce qu'il veut, avec une
dissymétrie de portance qui l'amènera à 111° de roulis à droite, une vitesse en accélération, une trajectoire
passant de la montée au vol horizontal puis à la descente...
Neuf secondes avant l'impact, et après avoir annoncé à plusieurs reprises le taux de roulis anormal, sans
réaction de la part du commandant, le copilote comprend que le PA n'est pas enclenché et il annonce
"pas de pilote automatique commandant". Et le commandant demande à nouveau, sept secondes avant le crash,
l'enclenchement du PA.
A ce moment, six secondes avant le crash, le troisième homme intervient : "réduisez la poussée,
réduisez la poussée, réduisez la poussée". Le commandant annonce "réduction de poussée". Une action sur
les manettes des moteurs apparaît quatre secondes avant l'impact, avec une réduction associée du
régime moteur. Parallèlement, sept secondes avant le crash, est apparue une action sur le volant
vers la gauche, qui a pour effet de réduire l'inclinaison (de 111°D à 14°D en six secondes).
Ceci confirme que l'avion est toujours resté pilotable.On peut envisager que c'est le copilote
qui agit ainsi, dans la mesure où il a, lui, parfaitement conscience d'une inclinaison totalement
anormale, mais sans en comprendre les raisons ni saisir les autres aspects de la trajectoire.
Il est trop tard. Au moment de l'impact la vitesse est 416 kt (VMO dépassée, cracker en action),
l'inclinaison est repartie à 25°D et le taux de descente est de plus de 20 000 ft/mn
(recalculé à partir d'autres paramètres en raison de l'absence inexpliquée de ce paramètre dans les dépouillements).
Nota 1 : L'enregistrement DFR de la position du volant de roulis montre un "neutre" décalé d'une
trentaine de degrés. Ou bien il s'agit d'une erreur dans la chaîne d'enregistrement (ou de restitution des
enregistrements), et il n'y a pas
matière à discussion. Ou bien le volant (en fait "les volants" parce qu'il y en a deux)
étaient réellement affectés d'un neutre décalé de 30°...
et un décollage dans ces conditions aurait été tout simplement criminel. L'absence d'enquête apparaît encore
plus scandaleuse au vu de ce qu'on trouve en page 92 du rapport, qui indique que ce décalage, simple
défaut d'enregistrement sans gravité ou bien révélateur d'une défaillance réelle interdisant le décollage,
existait depuis au moins 25 heures d'utilisation machine.
Nota 2 : La lecture du chapitre 1.16 - "Tests and Research" du rapport a entraîné quelques
débats. Résumé et conclusions ici.
Addendum du 31 janvier 2005 relatif à la mise en ligne des conclusions de Christian
Roger, ici.
Addendum du 5 février 2005 :
- un tour de passe-passe dans l'enquête, ici,
- bilan des faits connus, conditions d'exploitation à Flash Airlines,
responsabilités, ici.
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